Journal n° 2 de Bohémond

J'ai l'honneur d'être désormais officiellement sujet et serviteur de Sa Majesté Yanel Leohten en tant que juge junior de la branche judiciaire des Vigilants, et de pouvoir ainsi mettre au service du royaume les quelques compétences juridiques et diplomatiques acquises dans l'Ordre du Saint Jugement de Cormyr, en tant qu'écuyer puis en tant que paladin de Tyr. Cela doit m'encourager à donner le meilleur de moi-même au service du Bien, de l'Équité et de la Vérité, pour que vive la Justice et pour faire honneur à la chance qui m'est donnée. A vingt-deux ans et encore un homme bien jeune, j'ai bien conscience que j'ai encore beaucoup de maturité à acquérir, mais la fonction de juge junior ne me confrontera pas encore aux affaires les plus graves et les plus difficiles, et devrait justement me permettre de gagner utilement l'expérience nécessaire pour servir mieux encore mon Dieu comme moi Roi.

Cette affectation, qui donne enfin plus de sens à mon arrivée sur cette île et une signification à l'apparition de Tyr qui m'a guidé jusqu'ici, fut aussi l'occasion pour moi de mieux connaître certains de ceux et celles qui sont désormais mes frères et sœurs d'armes de la branche militaire des Vigilants. Je me joignis ainsi à une expédition qui nous mena au sud jusqu'à des cryptes souterraines que tous appellent la Nécropole, expédition qui comptait les paladines Nuage, Arilyn et le soldat Adonis, et où des immondices contre-nature telles que des goules ou des encore des blêmes pullulent, si ce n'est des momies d'une taille monstrueuse. Les talents de mes deux consœurs, tout comme leurs lames enchantées, m'impressionnèrent beaucoup et me firent prendre la mesure de l'entraînement auquel je devrais m'astreindre si je voulais pouvoir dans un futur proche appuyer avec quelque efficacité leurs actions militaires, tout juge que je suis. Pour avoir effectué une autre ronde avec elle par la suite, lors de laquelle nous avons pu échanger quelques mots courtois, je dois confesser en ce journal m'être radicalement trompé sur le caractère de la paladine Nuage. Et je suis heureux pour cette fois d'avoir eu tort. Sans doute est-ce dû aux mauvaises circonstances de notre première rencontre, à propos de laquelle elle m'a avoué que si elle n'avait pas accepté mon aide, c'est aussi parce qu'elle n'avait pas vu, dans le feu de l'action, l'écu de Tyr que je portais à mon bras. Et il faut avouer que le fait que je ne l'eusse jamais vue auparavant qu'avec un casque et en poste de garde, statique comme une statue, ne pouvait pas rendre justice à sa personne. Élément que je ne pouvais connaître sans cela, elle est une aasimar, de beauté noble et majestueuse, à l'expression souvent chaleureuse et bienveillante. Dans ses discours perce un souci authentique de faire le bien pour les plus pauvres (alors qu'elle m'avoua que le seul pauvre qu'elle croisa fut un Jerdanis mystificateur), notamment les enfants, ainsi qu'une totale vocation pour la Lumière de Tyr qu'elle aspire à servir en tant que bras justicier. Avec une paladine aussi gracieuse et noble que Nuage, et une autre aussi courageuse et vaillante qu'Arilyn, je ne doute pas que je puisse me trouver bientôt aussi à l'aise que dans mon ancien Ordre, même s'il me manque encore beaucoup.

Les soucis ne manquent pourtant pas de subvenir à intervalles réguliers, même s'ils n'ont encore revêtus aucun caractère dangereux, mais simplement déplorable et ennuyeux. Les De Risven continuent notamment à venir critiquer en permanence en place publique la manière dont les lois s'appliquent en Symeria, quand ce n'est pas pour se vanter d'avoir procédé en dehors des frontières à quelque châtiment expéditif, là où, selon eux, les paladins n'osent pas se rendre. J'ai même entendu dire, et ai pu lire dans certains rapports de mes confrères gardes des Vigilants, qu'un Jerdanis aurait sollicité le droit de passage sur les terres de notre royaume, prétendument pour y cueillir des herbes. Les De Risven et d'autres auraient appuyé cette demande, estimant qu'un refus n'était autre qu'une tyrannie. Il semblerait, et je ne sais pas si j'ai bien compris, que ce soit à cette occasion ou une autre du même genre, que Ramius De Risven aurait affirmé au soldat Ankthiar pouvoir le mettre à mort, ce que ce dernier aurait manifestement pris pour une fanfaronnade. Cela fut évoqué en place publique devant le Temple de Tyr en ma présence, et je ne pus qu'assister au défi lancé par le soldat Ankthiar au dit De Risven, en présence de son frère Jerik notamment. Le duel accepté, je fus prié de l'arbitrer, même si je ne goûtais guère cette idée ; cependant, je préférais encore que cela se passât convenablement et donc de m'exécuter. Les règles étaient simples, à l'étonnement de certaines personnes présentes : il s'agissait de ne pas user de félonie et surtout de ne pas mettre à mort son adversaire. Il s'agissait bien d'un duel d'honneur, sensé réparer un affront ou trancher un différend entre deux gentilshommes. Celui-ci eut naturellement lieu en dehors des murailles de la ville d'Odeyssa ; le combat tourna cependant rapidement à l'avantage du soldat Ankthiar, qui ressortit quasiment indemne, si ce n'est sans une égratignure, de son duel contre Ramius de Risven, qui eut au moins le mérite d'avoir relevé le défi, même s'il sembla mal prendre sa défaite. Le combat en lui-même ne me parut guère honorable cependant, tant les techniques employées me parurent plus dignes d'acrobates que de la chevalerie, et cela sans parler encore du fait que les deux combattants coururent beaucoup. Il eut été heureux que le règlement comportât un périmètre de combat. Bref, je fis tout de même savoir ensuite que je n'aimais pas beaucoup l'idée qu'un soldat de la garde de Sa Majesté se battît en duel pour la simple insulte d'un provocateur, ce qui était sans doute plus de l'orgueil qu'autre chose. Il est à souhaiter que cela n'engendre pas une logique de vengeance de la part du clan vaincu, voué à une « justice » dont on connaît trop bien les méthodes.

Certaines personnes en Symeria se préoccupent particulièrement des dangers que pourraient représenter les naufragés voués à des cultes maléfiques ou douteux et qui résident principalement en Luneo et Kaos. Anarion de Calimehtar m'a ainsi longuement entretenu d'un projet de réseau secret, qui viserait à employer des personnes non susceptibles de défiance afin de circuler au-dehors du territoire symerian et d'y pouvoir récolter des informations qui pourraient s'avérer précieuses pour notre sécurité. Je sais déjà que le sieur elfe a approché des personnes comme Tyla ou Setsuna (druide qui me semble de bonne intention et qui m'a parlé en faveur des animaux de la forêt, injustement attaqués par Aurore De Risven d'après lui), qui peuvent présenter un profil intéressant pour se faire, même s'ils n'ont pas la conception du bien qui règne en notre royaume de Tyr. En effet, une nouvelle menace animée par des serviteurs de Baine, et engendrant une logique de domination et de destruction, pèserait nécessairement sur les gens qui se veulent neutres. Rien n'est certain pour le moment, mais il est normal d'être prudent quand on connaît un peu l'histoire de cette île et la guerre divine qui l'a déchirée ; il est malheureusement bien difficile d'extirper le mal à la racine, dès lors qu'il a souillé aussi profondément une contrée. Je gage en tout cas que le dévouement du sieur Calimehtar sera utile et précieux, d'autant que je sais qu'il a déjà fourni des renseignements aux Vigilants.

De manière plus inattendue, il m'a mis en garde contre la magicienne du Cercle de l'Aurore Lylie, qu'il aurait vue parler avec un bainite. Cela n'est évidemment qu'une suspicion non prouvée pour moi, d'autant que je perçois plus de jeunesse et d'immaturité dans l'espièglerie de cette jeune fille. Je ne compte pas non plus pour beaucoup notre petite altercation, qui la fit mal réagir, ainsi que son compagnon Azuriel, quand je confondis dans la pénombre de la nuit une personne à la peau sombre avec un tieffelin ; même si manquer de respect à un paladin n'est pas chose correcte, il me faudra faire de mon côté plus attention à ces choses-là. Il semble d'ailleurs que ladite Lylie souffre d'un problème qui pourrait être assez grave : lors d'une excursion avec elle et Ysallyn dans la forêt, elle fut prise d'un malaise après avoir été blessée et usé de trop de magie, cela malgré mon imposition des mains. Il semble qu'elle ait besoin de se ménager et de se nourrir avec des aliments particuliers.

Un événement étrange est récemment survenu à Odeyssa, en pleine place publique devant notre Saint Temple, alors qu'il faisait nuit et que je me trouvais avec Ysallyn, Tyla et un génasi de feu que je venais de rencontrer, à l'apparence étonnante, qui dit être un chaman. Des vagues d'énergie ténébreuses, que je ne saurais qualifier autrement et dont je ne saurais déterminer la nature, se mirent à déferler soudainement, sans que l'on pût savoir d'où cela pouvait provenir. Le phénomène se répéta pendant quelques temps, sans qu'il en survint aucun dommage, jusqu'à ce qu'apparut un portail, phénomène étrange car, comme on le ferait remarquer plus tard, l'île était normalement isolée. De ce portail finit par sortir, ou tomber je ne sais trop, un homme âgé, dont l'état terrible faisait peine à voir, tant il était atrocement blessé et sanguinolent. Étant donné qu'il ne put être ranimé malgré quelques soins de base dont une imposition des mains, nous le transportâmes jusqu'au Temple de Tyr, et mandâmes un prêtre afin de le soigner, si cela était encore possible. Après quelques temps d'attente et d'interrogation, et alors que le chaman de feu eut l'idée de tenter quelque vision de l'esprit du blessé, le vieil homme reprit quelques temps connaissance. Mais il ne semblait plus avoir aucune mémoire, ni même se souvenir de son nom ! A peine quelques secondes après lui avoir appris qu'il se trouvait dans un Temple de Tyr et que nous étions des gens de bien, me demandait-il encore qui nous étions et où il se trouvait. D'autres éléments inquiétants mais non déterminants se firent jour : si je ressentis d'emblée comme une aura maléfique en présence de cet homme, je compris pourquoi en découvrant une marque sur sa peau, une sorte de scarification qui formait comme une écriture. Puisant dans des souvenirs de quelques leçons de mon Ordre, je reconnus vaguement un langage démoniaque. Tout inquiétant que cela soit, il est difficile d'en dire plus dans l'état actuel des choses : puisse Tyr nous éclairer en cette étrange affaire !

[Un feuillet. L'écriture semble altérée, comme sous le coup d'une émotion ou d'une certaine nervosité. Quelques rares et minuscules taches pourraient être des larmes.]

Acte de contrition

Très Saint Tyr, mon Seigneur et Dieu, Lumière plus puissante que le soleil dans les Cieux, source de Vérité et de Justice, puisses-tu pardonner l'égarement de ton humble serviteur, car j'ai péché et m'en repens amèrement et à genoux devant Ta glorieuse face.

C'est du péché d'Orgueil que je m'accuse devant Toi et en ce journal, émanation de ma vie comme de mes pensées, de mes actes, glorieux comme honteux.

Je me suis déjà confessé à un saint prêtre du Temple pour pouvoir voir plus clair dans cette humeur sombre qu'il a qualifié de mélancolie ou de bile noire. Moi qui croyais m'être débarrassé de ce chagrin sombre, lourd et dense après avoir trouvé une voie en ce royaume, il me faut constater que la prudence reste de mise si je ne veux pas que la faiblesse m'écarte un peu de Ta lumière sainte et apaisante.

Voici ce qui s'est passé : lors d'une expédition pour trouver des gemmes avec mon amie Ysallyn, Azuriel Hoper et Darixen, nous avons gagné une infâme Nécropole où je m'étais déjà rendu une fois, et je m'y suis senti troublé par des sentiments de honte, constatant que je ne pouvais pas protéger mes compagnons comme un paladin doit le faire, mais que c'était plutôt moi qui devais l'être, par manque de puissance.

Malgré la patience et les paroles réconfortantes d'Ysallyn comme d'Azuriel, je m'enfonçai dans une sombre humeur, comme incapable d'en sortir, anéanti par ce qu'il me faut bien voir comme une vanité qui n'est qu'un dévoiement de l'honneur véritable. Je dois m'élever par l'humilité et non par la puissance pour mériter la vocation dont Tu m'as honoré. C'est en donnant le meilleur de moi-même et en chérissant la bravoure de mes compagnons d'arme, et d'autant plus si elle est supérieure à la mienne, que je serai un paladin digne de Toi.

Accepte encore, mon Très Saint Seigneur Tyr, mon humiliation la plus totale devant Toi, et puisses-tu dans Ton infinie mansuétude, me donner la force et de la sagesse de ne plus jamais connaître ce doute annihilateur de toute vertu.

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