Juin 1404.
Les semaines s'étaient écoulées les unes après les autres, de manière monotone, sur un navire modeste qui voguait sans qu'on pût savoir quand il allait enfin arriver à destination. Il s'agissait de son premier voyage, et le fait de s'être livré à la mer inconnue et inhospitalière pour autant de temps lui eût pesé lourdement sur le cœur, s'il ne savait qu'il devait en passer par là pour souscrire à la volonté de son Dieu.
Le jeune homme avait, malgré cette motivation essentielle, l'impression d'être soumis à une entité à laquelle il lui était impossible de se fier entièrement, et contre laquelle il ne pourrait pas lutter si la Garce la faisait se déchaîner ; aussi priait-il régulièrement son Dieu et ses alliés pour que tout se déroulât bien, et repensait-il comme avec ferveur aux voyages empreints d'une liberté véritable qu'il avait pu faire souventes fois dans le royaume qu'il avait dû quitter. Quoi de commun en effet, entre le fait de se trouver comme prisonnier d'un navire étroit, et ces cavalcades fières et fougueuses que lui comme ses preux confrères avaient entreprises sur de puissants destriers, jusqu'aux frontières du royaume du souverain le plus légendaire de tout Faerûn, le Dragon Pourpre ! L'otage de ce voyage pourtant nécessaire, avait hâte, toutefois, de découvrir cet endroit que le Juste lui avait enjoint de féconder par sa sainte vaillance, et quel sens cet appel mystérieux recouvrirait véritablement en fin de compte.
***
Sa patience, cette mère de toutes les vertus, était heureusement favorisée par le souvenir vivace qu'il conservait de sa famille, et des mots qu'elle lui avait adressés sur les quais de la majestueuse Suzail où il s'était embarqué, le cœur gros de les devoir quitter. Leurs visages tant aimés défilaient devant ses yeux ouverts sur lui-même, et leurs ultimes messages raisonnaient dans son esprit, recouvrant le bruit des vagues et du va-et-vient des marins et des passagers :
Son père, Guibelin de Jasperal, Chevalier Dragon Pourpre et fils du Baron Bohémond, lui avait tenu ce discours :
« Si le Juste en a décidé ainsi, il me faut te laisser accomplir ta destinée, car Sa Gloire est la plus grande de l'univers. Mais souviens-toi que si Tyr possède ta vocation spirituelle, tu n'en es pas moins voué à honorer notre nom, où que tes pas te portent, car toujours tu seras un fils du Cormyr. Ce nom de Jasperal, relevé par mon père ton grand-père, adoubé pour sa bravoure par Azoun IV le Grand, glorifie-le à ton tour par tes hauts faits, et jamais ne sers quiconque manque aux principes de l'Honneur, car un noble modeste du Cormyr est plus grand que le roi de bien des contrées. Et dans le pire des cas, nous autres Dragons Pourpres savons que mieux vaut mourir dans l'Honneur que triompher dans l'Opprobre. Ne démérite point, et ma bénédiction sera toujours avec toi. »
Sa mère, dame Clamira de Jasperal, n'avait pas pu prononcer beaucoup de paroles tant elle se trouvait étreinte par une émotion profonde, mais son air doux et lumineux accompagnait son fils constamment pendant cette longue traversée :
« Aussi vrai que Tyr est juste, je me réjouis qu'il t'ait fait l'honneur de te convier à une quête qui te conduira à honorer tes vœux, mais mon cœur de mère s'inquiète en songeant encore à ton frère aîné qui jamais n'est revenu du voyage entrepris depuis tant d'années... Promets-moi de m'écrire dès que ta tâche sacrée t'en laissera le loisir ; je prierai pour toi de toute mon âme, afin que ta traversée soit sans encombre et que ton cœur ne perde jamais la pureté qui fait de toi mon fils aimé. »
Son frère aîné, le Haut Paladin Tancrède de Jasperal, un autre lui-même et un modèle depuis ses années de formation à l'Ordre du Saint Jugement de Suzail, lui avait prodigué ses conseils teintés d'expérience, sur ce ton à la fois sévère et pénétrant, mais aussi aimable et juste, qui lui était familier :
« C'est à ton tour, cher Roland, d'accomplir la volonté de Notre Seigneur Tyr, qui voit la Vérité en toute chose et prend chaque décision en toute Justice, et de partir en une lointaine contrée. Rappelle-toi ce que je t'avais conté sur mon périple, en cette île gangrenée par le mal, où même ceux qui avaient l'impudence de se dire bons, collaboraient avec un pouvoir vil et supportaient la présence de l’infamie comme de l'hérésie sur la voie publique. Aussi, proclame ta foi envers et contre tous et honore le serment que tu as juré en la sainte cathédrale de Tyr de Suzail ; lève ton épée sanctifiée à chaque fois qu'il le faudra, car nul ne le fera à ta place, et fais pour le pays où Tyr t'envoie, s'il est nécessaire, ce que je n'ai pu faire pour cette île corrompue. Sois l'incarnation du chevalier saint, et notre ordre sera honoré à travers toi ! »
Des embrassades et des adieux, tendres ou virils, s'étaient ensuivis, avant que le jeune et noble paladin ne saisît son maigre bagage, car il s'en allait de sa terre natale avec humilité et pour devenir un homme nouveau, celui que Tyr et la Providence feraient de lui.
Retour au sommaire du personnage
Retour au sommaire du personnage
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire