Rapport de Roland de Jasperal, paladin de Tyr
C'est alors que je revenais d'une expédition contre les forces du mal à l'extérieur de Thola, que je rencontrai à la chapelle de la Triade Monseigneur Blantet et le prêtre de Kelemvor Lannars, le premier semblant attendre mon retour. Je compris rapidement qu'il s'agissait des suites de ce dont m'avait déjà parlé Monseigneur, à savoir une force maléfique de nature indéterminée qu'il m'avait dit sentir suinter jusqu'en Thola, et susceptible de s'en prendre « à la jeunesse et à la beauté. » A l'époque déjà il était question que je dusse affronter cette menace, aussi m'y préparais-je sérieusement par les armes comme par la prière depuis plusieurs semaines.
Monseigneur Blantet avait cette fois des informations plus précises à nous donner. Une femme des bas quartiers avait requis l'aide du Concile au sujet de sa petite fille, qui était malade et présentait des signes évoquant l'action d'un maléfice. Mgr Blantet ne voulant pas que l'affaire tombât aux mains du Cercle, il nous enjoignit, moi et le prêtre Lannars, d'aller visiter cette famille. Je suggérai qu'un prêtre de la Triade serait peut-être plus approprié si le démon était purement maléfique, mais Mgr Blantet était d'avis que le problème était lié à la non vie. Le prêtre Lannars précisa qu'il n'agirait que si l'heure de l'enfant n'était pas venue et le domaine de la mort bafoué.
Arrivés en la demeure de la mère éplorée, celle-ci fut soulagée de nous voir et se montra impatiente de connaître notre avis. L'enfant était pâle, maigre, voire décharnée, et nous apprîmes qu'elle prononçait parfois des mots dans un langage inconnu aux accents inquiétants ; cependant, elle n'était pas prise de convulsions violentes, mais restait au contraire immobile. Apparemment, la petite fille, du nom d'Isabelle, avait sombré dans cet état après avoir été jouer à l'extérieur et avoir poursuivi quelque animal. Tout cela ne nous apprenait pas grand chose. Une fois réveillée, Isabelle se plaignit d'éprouver à la fois de la faim et de la soif, mais nous fûmes inquiétés quand elle se mit à tousser violemment puis à vomir du sang sans prévenir, qui souilla l'armure du prêtre Lannars.
Par mesure de précaution, ce dernier demanda à la mère de la petite de s'éloigner, car le mal se faisait de plus en plus perceptible. Même si elle était morte d'inquiétude et ne comprenait pas bien pourquoi elle le devait, elle se résolut à nous faire confiance, ce qui fut heureux au vu de la suite des événements. En effet, la pauvre petite Isabelle finit par être consumée par le maléfice qui la rongeait, et par se transformer sous mes yeux horrifiés en un squelette, sa chair disparaissant sous l'effet d'une magie noire et maudite. L'enfant ou ce qui avait pris sa place, parlait encore en appelant sa mère, et même en regardant le prêtre Lannars en prononçant le mot père. Étaient-ce les ultimes émanations d'une âme retenue un instant dans ce squelette souillé ou une infâme parodie, je ne le sais. Toujours est-il que le comble de l'horreur fut atteint quand le crâne se détacha du cou pour aller rouler à terre. Les orbites vides s'allumèrent d'une énergie négative, puis la créature finit par s'exprimer à nouveau, sur un ton ironique et cynique, faisant claquer d'une façon macabre ses mâchoires. Il était question de son maître, un certain Corbeau, un génie à l'entendre... Toutes ces insanités ne changeaient rien à l'affaire ; la fillette était perdue et le prêtre Lannars renvoya la créature par la grâce de Kelemvor.
Je me sentais impuissant et honteux de n'avoir rien pu faire pour la petite Isabelle, même si je savais d'avance qu'il était plus qu'évident que seul un prêtre eût pu œuvrer efficacement pour tenter un exorcisme difficile. On a beau voir nombre de squelettes enfantins réanimés à la ville en ruines, on ne peut point s'y faire avec un cœur bon. Je parlai d'aller consoler la mère par compassion et lui annoncer la triste nouvelle, ce que le prêtre Lannars prit mal, croyant à tort que je voulais empiéter sur les prérogatives de son culte. Je lui dis simplement de faire montre de compassion envers la pauvre femme quant il la verrait. Le prêtre Lannars voulut ensuite boucler tout de suite la maison pour éviter que le maléfice ne se propageât, mais je m'y opposai car j'estimai qu'il fallait agir dans les règles, selon les lois, et prévenir la garde. Le Concile ne dispose point du pouvoir politique de la gestion de la sécurité intérieure. Le prêtre de Kelemvor employa un ton menaçant à mon égard, disant qu'il me tiendrait pour responsable si quelque chose survenait. Je calmai les choses en indiquant qu'il suffisait qu'il restât là pendant que j'irais alerter un garde, ce que je fis.
Le garde que je trouvai non loin dans les bas quartiers, sembla quelque peu étonné voire amusé de voir quelqu'un du Concile requérir son soutien pour quelque affaire, mais sa mine perdit rapidement de son assurance quand je lui eus résumé la situation et quand j'eus évoqué un mort-vivant. Il n'est après tout pas mauvais de faire constater que le Concile Blanc a toujours son rôle à jouer en Thola. Il se montra parfaitement coopératif et s'occupa de restreindre l'accès à la maison où le drame était survenu. Le garde nous précisa encore qu'il serait préférable qu'un rapport fût adressé au Baron de Thola. Je suggère que la haute hiérarchie du Concile Blanc s'occupe de ce point à partir de nos rapports.
C'est à ce moment que la mère de la petite Isabelle revint vers sa maison, nous alertant sur le fait qu'une chauve-souris au ricanement sinistre aurait été vue s'envolant dans la direction du Fort des Lions. Cela concordait avec ce qu'avait entendu le prêtre Lannars alors que nous nous trouvions encore dans la maison, juste après la disparition du squelette de l'enfant. Le prêtre dut alors apprendre la dure nouvelle à la pauvre mère, qui nous demanda de mettre un terme à la source du maléfice.
Le prêtre Lannars se montra dès lors désireux de se rendre à la ville en ruines, car il disait avoir l'intuition que la source du mal s'y trouvait, eu égard à la direction vers laquelle s'en était allée la chauve-souris démoniaque. Après tout, c'était aussi le repaire de la non vie le plus proche et que nous connaissions le mieux. J'objectai cependant que nous n'avions pas été mandatés pour une mission d'une telle ampleur mais seulement pour visiter la mère et sa fille ; prendre une telle initiative était faire fi de la hiérarchie du Concile. Le prêtre de Kelemvor se montra alors insultant pour la seconde fois, prétendant que la Triade laissait faire le mal impunément et qu'il irait seul. Je le laissai partir, déclarant que je ne combattrais pas aux côtés d'une personne de cette nature, et partis en direction de la chapelle.
Arrivé en ce saint lieu, je me mis en devoir de prier après cette scène éprouvante, mais Mgr Blantet qui se trouvait non loin m'interrompit rapidement pour me demander où se trouvait le garde mortuaire, selon ses propres termes. Je lui racontai simplement qu'il avait parlé de se rendre au Concile pour gagner ensuite la ville en ruines, puis lui résumai brièvement ce qui s'était passé, voyant sa mine effarée. Je dus encore lui parler de la discorde qui s'était immiscée entre moi et le prêtre de Kelemvor et des propos insultants envers la Triade qui avaient été prononcés, quand Mgr Blantet me parla de le rattraper. J'opposai que vu la situation et mon âge, des faucons pèlerins seraient sans nul doute plus adaptés et efficaces, mais Mgr Blantet – même si je ne lâchai rien sur mon opposition claire à l’œcuménisme du Concile hors de la Triade et déclarai que je ne croyais nullement que le prêtre de Kelemvor répondrait de ses paroles comme on le prétendait –, finit par me convaincre de m'y rendre, au moins pour lutter contre ce mal. D'ailleurs, des faucons pèlerins allaient également partir en nombre suffisant.
Après un long périple, la ville en ruines dévoila un aspect encore plus trouble, sombre et inquiétant que de coutume. Non loin de la crypte qui jouxtait le château abandonné, le sol était jonché de cadavres dont la fraîcheur était répugnante et l'odeur suffocante. Le chemin était tout indiqué vers le dénouement de cette histoire maudite. Après quelques temps de recherche à l'intérieur de la crypte et m'être défait de quelques abominations, je touchai au but dans la salle aux lueurs étranges habituellement occupée par des âmes en peine. Au seuil se trouvait le prêtre Lannars, et devant une scène à faire frémir tout autre que les lames saintes et les élus des dieux.
Une sinistre assemblée s'offrait à mon regard inquisiteur, mêlant de nombreuses ombres et moult squelettes, des vampires ainsi qu'un être dont l'allure et l'autorité ne laissait nul doute sur son statut de chef : c'était donc lui le Corbeau, cet agent des plus noires ténèbres qu'il nous fallait occire. C'était d'autant plus urgent que ces immondices étaient sur le point d'accomplir un nouveau forfait : un cercle arrangé de signes complexes annonçait un rituel, et une jeune femme se trouvait pieds et poings liés en son centre. Elle implora notre secours, qui lui était déjà acquis, et le combat commença une fois que le Corbeau et ses sbires nous eussent raillé de façon bien téméraire. Il me faut bien avouer que la sombre magie qui animait le Corbeau était d'une puissance redoutable et qu'il nous fallut la Grâce de nos dieux respectifs pour triompher : c'est grâce à Tyr si j'ai pu porter un coup fatal au responsable de tant de mal. Loué soit-Il !
La jeune femme qui devait apparemment être sacrifiée sous peu était dès lors saine et sauve, et cela me consolait quelque peu de notre échec vis-à-vis de la petite Isabelle et de sa mère. Mais à peine avais-je coupé ses liens et l'avais-je aidé à se relever, qu'un faucon pèlerin vint nous prévenir de la gravité de la situation au-dehors : plus d'une centaine de morts-vivants d'une puissance non négligeable s'étaient regroupés dans les ruelles, et les faucons pèlerins les maîtrisaient à grand peine. Je ne pus m'empêcher de songer un instant à l'avertissement que m'avait donné cette femme étrange à la taverne de cette même ville des semaines auparavant : était-ce de ce danger dont elle m'avait voulu prévenir à mots couverts ? Mais le temps n'était pas à la réflexion, il fallait quitter l'endroit maudit tant qu'il en était encore temps. Ainsi fîmes-nous en déblayant le chemin tant bien que mal et en protégeant la jeune femme, tandis que les faucons braves et vaillants couvraient nos arrières pour la gloire de Torm le Pur.
Le voyage de retour vers Thola se déroula sans encombres grâce à notre escorte impressionnante, qui n'avait, Tyr merci, pas de pertes à déplorer. Une consœur en la foi d'Ilmater, Celui qui Pleure, nous vint voir pour s'enquérir de notre état. Elle s'occupa tout spécialement de la demoiselle qui se trouvait en état de choc après pareille épreuve et l'emmena pour l'examiner avec le haut prêtre d'Ilmater. Pendant qu'un faucon pèlerin évoquait certains choses avec le prêtre Lannars, j'en profitai pour m'en aller prier à l'Autel, car faire ses dévotions et remercier le dieu qui vous a sauvé, prêté une once de ses pouvoirs divins et guidé vers la victoire, est le premier devoir du paladin qui rentre de mission.
Puis ma sœur en la foi d'Ilmater remonta avec la demoiselle, qui, encore faible qu'elle était, semblait ne présenter aucun signe alarmant. Cependant, le choc mettrait sans doute du temps à être surmonté, aussi ma sœur me recommanda-t-elle tout particulièrement la jeune femme, que je me montrai naturellement tout disposé à servir comme il se devait. La demoiselle, du nom de Jadnya, se montra désireuse de nous remercier et de connaître nos noms. Elle faisait montre de manières courtoises et de reconnaissance sincère. Après le départ du prêtre Lannars, je discutai encore quelques temps avec Mlle Jadnya, tout d'abord de manière anodine et courtoise afin de lui aérer l'esprit autant que faire se pouvait.
Cependant – et cela se fit tout naturellement sans que j'intervinsse aucunement –, la jeune femme se montra désireuse de parler de ce qui lui était arrivé, car elle voulait avoir mon avis et pensait que parler contribuerait à la libérer du fardeau qui lui oppressait le cœur. J'appris ainsi comment elle avait pu être capturée ; un vieil homme lui avait fait boire une potion qui était censée la soulager d'une blessure au ventre. L'effet fut tout autre : la jeune femme sombra dans l'inconscience pour ne se réveiller qu'au milieu des créatures que nous avons dû affronter. Le vieil homme fut dupé de même, car si le Corbeau lui avait apparemment promis l'immortalité, en fin tentateur connaisseur des faiblesses des mortels, le salaire ne fut pas celui qui était escompté. Le vieil homme aurait fait preuve de trop d'insistance pour obtenir ce qu'il convoitait, ce pourquoi une ombre s'était glissée derrière lui pour prendre lentement possession de son corps, brisant de ce fait sa volonté. Une fois cela fait, l'ombre s'était retirée, et le Corbeau avait tranché la gorge de l'homme avant de le dévorer. Mlle Jadnya avait dû assister à cela longtemps avant notre arrivée... Puis le monstre cruel avait posé un ultimatum à la jeune femme ; elle devait devenir sa servante, faute de quoi elle serait sacrifiée. Le service du Corbeau aurait impliqué de lui ramener des proies fraîches, sans doute comme avait dû le faire le vieillard pendant un temps, avant de subir le même sort. Outre cela, Mlle Jadnya a dû subir une épreuve terrible en étant possédée un temps par une ombre qui s'était immiscée en elle, ce qui lui fit éprouver un sentiment de vide et de froid. Cela était apparemment pour qu'elle se tînt tranquille avant le sacrifice que nous avons pu déjouer.
Mlle Jadnya a tenu à aller reposer en l'auberge où elle loge, après ce long entretien. Je lui dis de ne point hésiter à faire appel au Concile en cas de besoin.
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