Démission et fin du parlement baronnial

Seigneur d'Estrée,

Il me faut vous écrire aujourd'hui à propos des missions que vous m'avez confié ainsi qu'à propos de beaucoup d'autres choses qui en découlent naturellement, même si elles ne vont s'avérer guère plaisantes, ni pour vous ni pour moi, comme vous allez vous en rendre compte tout à l'heure.


D'Estrée exigeant le retour de la traîtresse

Vous avez ainsi exigé de moi en tout premier lieu de me débrouiller comme je le voulais, je vous cite, afin que dame Nibjorn de Padhiver puisse réintégrer le Parlement, après que n'aie pas jugé bon de la retenir, sans nul doute pour ne pas froisser votre ami messire l'argentier, ou peut-être à cause de convergences de vues avec cette dame, sur lesquelles je reviendrai. Je ne compte pas différer la conclusion de votre requête plus longtemps toutefois : la seule manière dont cette dame puisse revenir vous servir au parlement est mon départ d'icelui, aussi je vous offre ma démission, ce qui aura le bénéfice de vous satisfaire doublement.

Nibjorn, le duc Sigurdur Kvern et Roland

J'ai en effet eu connaissance de dame Nibjorn elle-même, qu'elle vous avait adressé un rapport, à vous comme à l'argentier, dans lequel j'aurais été décrit comme un sérieux problème pour Ayn'n, si je n'étais pas prêt à changer – ce sont là ses termes précis, aussi nets qu'insolents. Le motif pour lequel nous nous étions disputés avait résidé dans son usurpation de mes compétences diplomatiques en se rendant à Thola notamment pour discuter de l'avenir d'Ayn'n avec ses autorités, et j'avais eu raison de me méfier : lors d'une discussion particulièrement éclairante aux côtés du duc Kvern, cette femme a bien voulu  nous avouer qu'elle avait contacté tous les groupes de l'île afin de s'entendre dire que la Triade constituait une nuisance pour Ayn'n comme pour ses plans purement commerciaux. Il est inutile de préciser que le Zentharim a dû s'en donner à cœur joie, avec grande largesse. Il semble même que dame Nibjorn tienne un certain nombre de ses conclusions de Thola même : car on lui aurait là-bas signifié qu'on ne voudrait pas commercer vraiment avec Ayn'n, tant que je n'aurais pas été démis de mes fonctions politiques. De qui cette femme tient-elle vraiment ses instructions ? Je vous laisse tirer seul la conclusion.

J'irai plus loin, et manifesterai mon désaccord total avec la vision de dame Nibjorn, et de votre argentier s'il l'a confirmée : nous rendre exclusivement dépendants du commerce avec Thola en nous soumettant à ses diktats politiques et insidieux, renoncer à toute activité agricole et maritime, est une pure folie, qui montre bien ce que l'on obtient en faisant se mélanger par trop économie et politique. Je viens du Cormyr où les fiefs modestes de quelques centaines d'habitants sont nombreux, mon père étant l'un d'eux, et jamais aucun seigneur n'aurait la pensée de priver son domaine du sain travail de la terre, car il aurait bien raison de penser qu'il se mettrait ainsi à la merci des marchands. Non seulement il est mauvais de renoncer à une production locale qui seule peut rendre indépendant, et c'est la perspective dans laquelle moi j'aurais œuvré en faisant purifier les terres avec le Temple des saisons, avec la même pensée qui était mienne quant à l'établissement d'une flotte correcte pour jouir de nos eaux ; mais en plus de cela, la noblesse locale y perdra son assise, d'une manière ou d'une autre. Vos serfs transformés en main d’œuvre ouvrière mobile constitueront une classe servile non point pour vous et l'autorité politique, mais pour les marchands proches ou lointains auxquels vous aurez remis les clés du pouvoir : car en délaissant votre propre production et en vous rendant dépendant uniquement d'un or étranger, vous n'aurez plus votre mot à dire. C'est encore plus vrai quand cet étranger s'appelle le Zentharim, et que dame Nibjorn m'a fait part de son refus de faire constituer une flotte de commerce ayn'noise, sous le prétexte que les investisseurs viendraient d'eux-mêmes – je pense que vous m'avez compris et qu'il est inutile de commenter cette dernière perfidie.

En un mot, je demeure votre serviteur obéissant et dévoué, mais je n'agirai jamais contre le bon sens ni contre les impératifs d'une politique saine et honorable ; j'entends que les terres soient développées, j'entends que nos défenses soient renforcées, j'entends que la noblesse demeure l'appui du peuple, et que ce dernier ne soit pas à la merci de l'ambition de la classe bourgeoise, de l'or qui ruine les âmes et les cœurs. Les Loviates ont suffisamment fait en cette contrée, pour que je m'associe au matérialisme waukynite et à ses accointances avec la manipulation politique zenthile. Aussi pour vous satisfaire, et parce que je ne reviendrai jamais sur les vues que j'ai développées et qui sont celles d'un homme d'honneur et de conviction, je vous présente à nouveau ma démission : il ne sera pas dit que la Triade aura signé la décadence morale d'Ayn'n en adorant l'Or noir.

Votre chevalière comme les effets du Parlement vous seront remis, en votre présence ou en celle d'un de vos officiers à votre convenance, et l'avenir de la sainte Triade en cette contrée sera bientôt décidé : il m'apparaît toutefois comme fortement compromis dès lors que la noblesse cirbannaise a renoncé depuis trop d'années à tout honneur et à toute volonté de combattre pour le revendiquer. Walmund Ier avait raison : seule la sainte Triade aurait eu les épaules assez solides pour relever Ayn'n en toute souveraineté, pour ne pas céder à la noirceur corruptrice et au désespoir instillé par l'Ennemi qui tient trop d'esprits sous sa coupe.

Sous le regard du Juste,

Roland de Jasperal,
Paladin du Saint Jugement de Tyr

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