La Triade et la population d'Ayn'n en 1408


Le mendiant

Alors que nous devisions sur la place d'Ayn'n, le Père Ulrich Franz et moi fûmes abordés par un mendiant qui désirait de quoi manger, affirmant qu'il se nourrissait de rats... Ayant naturellement accepté, nous discutâmes un peu avec lui de nos projets, et il déclara que si le peuple d'Ayn'n était rigoureux et travailleur, il était aussi égoïste et impulsif. A l'écoute de nos ambitions de purifier le temple (lui qui se souvenait d'Audrey Desneld, l'ancienne haute prêtresse loviate, qu'il qualifia de « beau brin de fille ») et de faire valoir la justice en cette baronnie, il se montra sceptique. Cependant, mon explication sur une justice faisant concorder le châtiment avec la gravité de la faute, sembla le toucher quelque peu, comprenant qu'il valait mieux subir une punition mesurée que se faire trancher une main pour le vol d'un pain par exemple. Du reste, quand je lui rappelai le principe de charité d'Ilmater et le fait que nous contribuerions à leur approvisionnement en nourriture, de même que quand je lui offris vingt pièces d'or comme promis, il nous montra bon visage. Cela dit, son cas nous fit bien comprendre qu'il serait plus difficile d'intéresser la population au fond des choses qu'à un soutien de forme. Le Père Franz et moi nous dirigeâmes ensuite vers l'auberge, car le mendiant nous avait mystérieusement suggéré d'aller voir dans les environs. A ses yeux, nous aurions tout à gagner à nous rapprocher de la population pour mieux la connaître.


La querelle des deux voisins, Crumi Chinchaud et Séraphin Lautru

Arrivés sur place, devant l'auberge du Bègue, le Père Franz entendit les échos d'une querelle qui semblait avoir cours au sud de l'établissement, non loin du cimetière. De fait, nous découvrîmes, devant deux maisons se trouvant côte-à-côte, deux hommes fort aigris l'un contre l'autre tout près d'un arbre ; l'un des deux parla de cet arbre comme se trouvant sur son terrain et donc lui appartenant, avant que les deux ne commençassent à se battre. Le Père Franz les sépara alors qu'ils s'étaient résolument jetés l'un sur l'autre, puis nous nous efforçâmes de les raisonner malgré leurs réticences initiales, échauffés comme ils se trouvaient, et chacun persuadé d'être dans son bon droit.

Au bout d'un moment toutefois, le dénommé Crumi Chinchaud se résolut à nous expliquer que le problème venait des fruits, provenant d'un pommier situé sur son terrain, mais qui tombaient systématiquement sur le terrain de son voisin, du nom de Séraphin Lautru, lequel répondit qu'il eût dû faire pousser l'arbre droit. Ce dernier hasarda alors un mot insultant qui faillit nous faire perdre le calme relatif revenu, Crumi revendiquant ensuite le fait que son grand-père avait entretenu l'arbre toute sa vie et que sa femme faisait avec les pommes les meilleures tartes renversées qui fussent.

L'idée du Père Franz de cueillir les pommes à deux et de les partager, évoquant les bienfaits de l'entraide, si elle fit jubiler Séraphin, fit se récrier Crumi : pour lui, il était clair que l'arbre était chez lui et qu'aucun débat ni compromis n'avait lieu d'être. Je me résolus dès lors à employer une argumentation plus subtile pour en arriver à peu près au même effet ; je reconnus que si l'idée du Père Franz était bonne, il n'en fallait pas moins définir, au nom de Tyr et parce que la propriété était une base indiscutable, que l'arbre appartenait bien à Crumi et qu'il pouvait librement disposer de son fruit en conséquence – voilà qui était lui faire une concession préalable le disposant à bien écouter la suite. Pour autant, je fis remarquer que comme le rétablissement de la paix dans le voisinage était souhaitable, Crumi pourrait inviter de temps en temps Séraphin à goûter de ses pommes et de ces tartes excellentes, ce qui serait l'occasion de discuter. Un peu hésitant, le propriétaire de l'arbre consentit à essayer cet arrangement, à condition que les enfants de son voisin ne s'approchassent pas trop. Je précisai naturellement à Séraphin qu'en contrepartie de l'amabilité de son voisin, il devait s'engager à ne plus s'approprier ses pommes, ce qu'il accepta, ayant déjà dans l'idée de farcir son cochon avec.

De tout cela, la morale à tirer est que même vis-à-vis de populations ayant vécu sous un joug maléfique pendant longtemps, il est toujours possible de faire comprendre les bons principes en se montrant à leur écoute et attentifs à leurs problèmes concrets. De fait, je jugeai utile de rappeler aux deux voisins que comme le voulait Tyr, le droit et la propriété étaient la base de la paix pour tous. A l'énoncé du nom du Juste, Crumi nous remercia de l'avoir empêché de commettre quelque chose qu'il eût pu regretter, même si on lui avait toujours décrit Tyr comme un dieu « rasoir » ; je m'accordai sur le principe d’exigence, mais tout expliquant combien Tyr se voulait un bon père proposant des règles stables pour que ses enfants vécussent en paix, tandis que le Père Franz appuya sur Son rôle bénéfique et protecteur. Quand ce dernier expliqua aux deux hommes que le temple des hauteurs serait bientôt voué à notre foi et qu'ils pourraient y mander la protection du Juste et de ses alliés en échange de prières, Séraphin laissa entendre qu'il serait sans doute plus réceptif pendant la messe, si nous avions des prêtresses aussi agréables qu'avaient pu le lui sembler les prêtresses loviates. Je rétorquai poliment que l'aura sacrée de mes paladines ne manquerait pas de l'impressionner, mais d'une façon vraie et profonde, tout autant que la beauté des nôtres ne dissimulait point la cruauté intérieure.

Une fois Crumi rentré chez lui – car sa femme sollicitait sa présence, Séraphin nous présenta une requête, nous demandant si nous aurions le temps d'aller chercher ses deux enfants, Thomas et Maga, qui avaient pour habitude de traîner hors de la ville, au camp des réfugiés, et qui n'étaient pas rentrés à l'heure convenue. Il nous ferait goûter sa soupe d'ail au retour, dont la préparation l'empêchait d'y aller lui-même.


Thomas et Maga Lautru

Le Père Franz et moi, ayant accepté la requête, nous dirigeâmes vers le camp des réfugiés où nous découvrîmes les deux enfants, la petite fille nommée Maga tout d'abord, son frère Thomas se trouvant un peu plus loin près d'une roulotte. La petite Maga, dont l'air apparut comme fier voire suffisant, évoqua une mission secrète dont elle ne pouvait pas parler, quand je lui eus parlé de la volonté de leur père puis demandé si elle et son frère ne faisaient rien de mal.

Heureusement, en fin observateur, le Père Franz remarqua que la petite fille avait quelque chose sur le bras et le lui attrapa soudainement pour voir ce dont il s'agissait. Il lui nettoya le bras avec un chiffon, tandis que Maga déclara sans se faire prier mais avec un repentir affecté, que c'était son frère qui l'avait forcé à faire le guet pendant qu'il récupérait des pièces métalliques sur les roues de la roulotte, pièces dont il aurait compté se servir comme projectiles pour sa fronde, dans un jeu du guet et des voleurs.

Le jeune Thomas accepta de nous rejoindre d'un air maussade, s'étonnant de notre air et prétendant qu'il ne faisait que jouer, tandis que sa sœur prenait un air gêné. A notre explication contre le méfait que constitue un vol, les enfants tentèrent de minimiser les faits du fait de l'état de la roulotte, le garçon ajoutant ensuite que ce n'était pas pour lui et pour faire plaisir – première discordance. Thomas, de plus en plus suspicieux, questionna vivement sa sœur sur ce qu'elle avait raconté, celle-ci parlant à nouveaux des morceaux de métal. Le garçon se récria, nous apprenant que c'était Maga qui voulait s'en servir pour confectionner un collier d'esclave pour sa poupée, alors qu'elle l'avait harcelé et empêché de dormir à ce sujet – laquelle Maga avait fondu en larmes tout en se tournant.

Les manières franches de Thomas, de même que les manières beaucoup trop composées de Maga, commencèrent à dessiller mes yeux, si bien que je déclarai que si le garçon eût mieux fait de ne pas céder aux caprices de sa sœur, le plus coupable demeurait qui avait eu l'idée de la mauvaise action. Au triomphalisme du garçon imaginant déjà la correction paternelle, je rétorquai que là n'était pas le sujet, mais de comprendre en quoi ils avaient mal agi. Ainsi, j'expliquai à Thomas qu'il ne devrait plus céder aux volontés de sa sœur concernant ce qui était mauvais, et à Maga qu'elle ne devrait plus manipuler autrui – et son frère de renchérir sur le fait qu'elle pleurait toujours pour éviter une correction légitime, alors que lui assumait parce qu'il était un « dur ». Le Père Franz dut nous quitter à ce moment-là, du fait d'une messe à préparer pour le lendemain et de la nuit tombante, charge à moi de ramener les enfants.

Je pris encore un temps pour enseigner le frère et la sœur, enjoignant le premier à demeurer brave, mais en défendant ce qui était juste et sans céder à la facilité, tout en annonçant à la seconde, qui me considérait d'un air mauvais et rancunier, que je parviendrais bien à lui faire comprendre que ce n'était pas contourner les règles qui rendait heureux. Il sembla que je dus prendre un air convainquant car le jeune garçon accepta de grand cœur, alors que même sa sœur hocha la tête, arrêtant même de pleurer.

Je conclus l'affaire en leur accordant la bénédiction du Juste, tout en leur précisant que les nôtres étaient en ville pour aider chacun et qu'il leur faudrait promettre de ne plus recommencer. Si Thomas accepta derechef, Mag se remit à pleurer en évoquant à nouveau le collier d'esclave qu'elle désirait toujours pour sa poupée. Je m'attristai qu'elle pût la considérer ainsi plutôt que comme une amie, et ce fut alors qu'elle avoua, comme avec fierté, que c'était pour la faire ressembler aux égéries qui œuvraient au temple de Loviatar jadis. Tout en assurant la fillette que ces femmes n'avaient rien de modèles recommandables pour des enfants, je suggérai un accessoire qui rappelât une paladine, mais elle eut raison de me faire remarquer que vêtir Alia d'un simple collier était plus facile. J'eus alors l'idée de prendre le contrepied du culte infâme qui avait sévi sur les terres d'Ayn'n, et de proposer la confection d'une petite robe rappelant une prêtresse d'Ilmater, faisant ainsi de la poupée Alia une amie fidèle et dévouée plutôt qu'une image de méchanceté. A l'air de Maga qui n'avait probablement jamais entendu parler de Celui qui Pleure, je lui expliquai qu'il s'agissait d'un dieu allié du mien, très aimé partout, et qui s'occupait des personnes souffrantes et ayant besoin d'attention. La réaction spontanément positive de la fillette me rassura, de même que sa disposition à voir une prêtresse d'Ilmater qui viendrait la voir chez elle pour la petite robe et parler avec elle.

Thomas parut dépité par cette suite de la conversation, n'y voyant que des principes de filles, si bien que je ne manquai pas de lui préciser que Tyr avaient d'autres alliés portés sur la vaillance, comme Torm, Son paladin. Quand le jeune garçon me questionna sur son épée, je la lui décrivis comme une grande épée à deux mains, et lui narrai comment le Pur avait vaincu le dieu le plus infâme, Baine, pendant le Temps des Troubles. Visiblement intéressé, Thomas s'enquit de combat contre des dragons, à quoi je répondis que Torm pouvait chevaucher des dragons d'or majestueux, mais qu'il combattait ceux qui étaient maléfiques. Devant l'enthousiasme du garçon s'imaginant déjà à pourfendre de l'orc d'une épée géante, je lui proposai de rencontrer quelques Faucons Pèlerins un jour, d'assister aux entraînements et aux messes, mais je lui précisai que devenir chevalier soi-même requérait une formation longue et exigeante, mais qui en valait la peine. Maga, qui semblait gentiment amusée par l'assurance de son frère de devenir le plus grand chevalier, finit par nous ramener à la réalité, déclarant avoir faim et désirer rentrer.

Leur père, Séraphin, nous attendait sur le pas de la porte, visiblement impatienté, grondant les enfants sur le fait qu'il les attendait pour l'heure du souper depuis longtemps passée. Je m'excusai de m'être laissé emporte à trop parler, mais pour la bonne cause, lui déclarant, une fois qu'ils furent rentrés, qu'ils étaient de bons enfants qui avaient simplement besoin qu'on leur montre la bonne voie. Séraphin me remercia de les avoir ramenés, expliquant qu'ils étaient quelque peu insouciants et qu'il espérait que Maga laisserait son frère tranquille. Après cela, le brave homme m'invita chez lui à manger de la soupe préparée par son épouse Annelise.

Avec la bénédiction du Juste,

Roland de Jasperal,
Paladin de Tyr

[Animation par Wulf]


Retour au sommaire du personnage

0 commentaires: