Roland et Calypso aux Eaux Claires - [17 juillet 2010] |
Aux Eaux Claires, en ce
lieu sauvage éloigné de toute civilisation et où tout avait
commencé, sous les auspices insondables des dieux, et sans que les
concernés n'eussent pu alors l'imaginer le moins du monde, deux
êtres avaient achevé de se trouver et de se lier l'un à l'autre
par un serment intime compréhensible par eux seuls, en-deçà et
au-delà du monde. Des mois avant cette consécration de leur amour,
le jeune homme avait aidé la jeune femme, en ce même lieu, à
effectuer une première renaissance symbolique, comme pour lui ouvrir
la voie qu'ils devraient bientôt emprunter ensemble, un chemin vers
la lumière et vers l'espoir qu'ils seraient aux yeux de tous les
deux. Plus d'une fois, des mains célestes et clairvoyantes avaient
placé le paladin sur le chemin de la corsaire qui ferait naître
l'homme de chair et de sang sous son armure, comme il réchaufferait
par sa lumière intime et divine l'âme de la femme qui croyait son
essence ternie à jamais, enveloppée dans des ténèbres abyssales.
Mais en ce jour béni de
leur histoire, Roland ne s'était pas contenté de se tenir sur la
berge de l'eau comme de la passion ; il n'était plus retenu, comme
alors, par l'ignorance du destin qu'il comptait partager avec
Calypso, ni par le port d'une armure qui avait symbolisé la barrière
que son code d'honneur aurait pu constituer contre son désir de
posséder une femme rien qu'à lui, sans que quiconque ne fût au
courant. Maints serments d'une profondeur et d'une solennité
renversantes avaient été prononcés au fil des semaines d'une
passion sincère et entraînante, bien des baisers échangés jusqu'à
l'assouvissement d'une union charnelle inéluctable autant
qu'irrépressible ; au paroxysme d'une fureur amoureuse qui confinait
à la destruction extatique et mystique, la corsaire avait cédé
sous l'afflux de lumière de son compagnon pour lui livrer enfin les
secrets de son royaume, se sentant conquise et prête à lui céder
définitivement la citadelle de son cœur s'il s'en montrait digne.
Serment au lac béni au nom de Tyr - [19 septembre 2010] |
L'histoire de la conquête
de la corsaire brave et intrépide par le paladin à la loyauté
courtoise, se consomma donc au lieu de son fondement insoupçonné,
et fit effectuer au temps un retour sur lui-même au signe de
l'infini, se dilatant et se concentrant pour atteindre l'essence
parfaite déployée par l'union de deux âmes destinées à ne faire
plus qu'une, dans la vie comme dans la mort, par le corps comme par
l'esprit. En écho au jeu innocent du lac béni par Tyr des Vertes
Collines, autre moment symbolique, Calypso, dans l'état de celle qui
avait touché du doigt un bonheur céleste tel que la vie profonde et
vraie ne pouvait plus que se prolonger dans la mort et l'éternel,
entraînait avec elle celui qui s'était abandonné résolument à
elle, plongé dans une attitude onirique et merveilleuse qui faisait
se mirer dans ses saphirs une puissance au-delà de l'espace et du
temps.
Alors que les deux amants
sombraient dans les eaux, claires comme la lumière de leur amour,
rivés l'un à l'autre comme un seul être parfait et complet, le
monde s'effaçait autour d'eux dans un tourbillon aquatique et
insensé, rendant diffuse la perception de la réalité, l'élément
liquide vibrant au-delà comme en-deçà des flots où ils
s'abîmaient le cœur comblé. Éros et Thanatos se mariaient et se
conjuguaient au sein de ce ballet où l'extase flirtait avec
l'anéantissement des volontés, comme si l'infini de l'Amour allait
se figer dans l’Éternel pour produire une image parfaite, que le
monde enfui de leurs consciences ne pourrait jamais plus dégrader,
de même qu'il ne pourrait jamais plus séparer ceux qui avaient
opéré cette symbiose lancinante. Les dieux ne le voulaient pas
ainsi cependant, et rendirent à Éros la force d'étreindre la
corsaire, dont les azurs s'ouvrirent démesurément à la réalité
qui menaçait de faire cesser la danse sous-marine de ses fiançailles
secrètes, avant qu'elles ne se fussent accomplies. Une seule
impulsion, d'air et de vitalité, fut assez signifiante et opérante
pour que le Prince achevât la conquête de son Royaume, enlevant la
Sirène au sommeil sans fin d'où son baiser comme son étreinte
n'eussent pu la sortir.
Les Fiançailles des Eaux Claires - [6 octobre 2010] |
Roland s'était laissé
transporter par son Capitaine dans cette expérience aussi
tourbillonnante que chavirante, n'ayant triomphé du piège de leur
inconscience mutuelle que par la force de sa foi en leur destin, qui
lui avait fait refuser, alors que de doucereuses ténèbres l'y
invitaient puissamment, l'invitation à se laisser couler dans
l'oubli des tourments du monde. Pouvait-on encore rêver, quand on
avait déjà tout, s'était demandée Calypso à l'auberge de Pierre
Levée, peu auparavant ? Le paladin ne pouvait que répondre par
l'affirmative, alors que chaque nouvelle rencontre avec sa dulcinée,
chaque fois qu'il pouvait renouveler autour de son corps, dont les
grâces étaient savamment dissimulées d'ordinaire, son étreinte
tendre et dévouée, une part de rêve s'assouvissait de nouveau,
inlassablement. Avec la conquête du royaume de sa Sirène, qui
l'avait tenté par l'oubli du monde d'un chant envoûtant et
captivant, il l'avait encore une fois ramenée vers la vie, usant de
la clé qu'était son Cœur pour l'inviter à progresser encore à
ses côtés sur la voie lumineuse du Bonheur.
Tout affaiblis qu'ils
étaient, étendus là sur le rivage de sable fin, trempé par la
pluie intense qui n'avait presque pas cessé de couvrir le ballet des
eaux claires, Roland et Calypso ressentaient le bonheur
indescriptible d'avoir osé mélanger au goût de la passion celui de
l'anéantissement, tout en l'ayant vaincu, inscrivant par ce serment
essentiel leur union dans une perspective plus puissante encore.
Roland vibrait et tressaillait, peut-être sous l'effet de l'air qui
caressait doucement ses vêtements et sa peau trempés, mais surtout
sous le joug de l'émotion que lui conférait la fierté d'avoir
percé à jour le mystère de sa tendre aimée, qui ne tremblait pas
moins que lui, éreintée par l'épreuve du ballet, mais aussi du
même plaisir d'avoir trouvé son Prince digne de revendiquer le
Royaume de son âme, qu'il tournait ainsi définitivement vers la
Lumière. En cette nuit divine, sous le dôme bienveillant du ciel
scintillant d'étoiles lointaines, ils consommèrent, comme si
c'était pour la première fois, un premier mariage secret, des
fiançailles, loin du monde des hommes, en symbiose avec la nature
environnante. Les feuilles des arbres étaient agitées par de doux
courants d'air, tout comme le chevelure de Roland, dénouée, se
faisait plus libre et sauvage, au grand plaisir de Calypso dont les
caresses se faisaient tendres et audacieuses sous les vêtements de
son promis. Bientôt, ces vêtements ne constituèrent plus une
barrière mais servirent de couvertures sur le sable, les deux amants
s'abandonnant à une tendresse et une passion renouvelée par le
contact des éléments, Roland recouvrant le corps de son ami d'une
chaleur féconde et protectrice. Le plaisir qu'ils goûtèrent ainsi
fut inédit, sans bornes et infini.
Les premières lueurs de
l'aube trouvèrent les deux amants, le Prince et sa Sirène,
tendrement enlacés dans les bras l'un de l'autre, l'homme ayant fait
barrage de son corps pour préserver son aimée de la pluie fine qui
n'avait presque pas cessé d'accompagner leurs ébats puis leur
tendre sommeil. Lui comme elle avaient une tenue et une attitude
dignes d'un lieu de Paradis, c'est-à-dire qu'elles eussent paru fort
choquantes si on avait pu les apercevoir ainsi. Mais n'avaient-ils
pas le privilège de s'être propulsés hors du monde et de ses
codes, de tout ce qui pouvait les empêcher de se comporter comme bon
leur semblait, dans l'intimité la plus parfaite et la plus divine ?
Là, en cette plage qui eût pu sembler pure et vierge de l’œuvre
des hommes, le paladin comme la corsaire n'étaient plus que deux
amants, comme échoués récemment à une vie nouvelle, plus franche
et plus sauvage. Calypso, habituée qu'elle était aux réveils
matinaux, ouvrit ses grands yeux azurés la première, souriant
tendrement au contact chaleureux du corps de Roland, s'épanouissant
en un doux étirement des ses bras qui n'avaient cessé de
s'accrocher au dos de son ami. Elle était conquise et ravie à la
fois, caressant ensuite la chevelure dorée de l'homme tout ne
pouvant s'empêcher de murmurer son prénom, ce qui l'éveilla
doucement. D'un air quelque peu enfantin et comme au sortir d'un rêve
on ne peut plus agréable, Roland émit un petit gémissement, qui
arracha un sourire à Calypso, avant que les rayons du soleil ne
vinssent rehausser l'éclat de ses saphirs dévoilés. Un sourire
franc illumina son visage, au constat que la vision dont il
bénéficiait au réveil se trouvait être encore plus agréable que
le rêve qu'il venait de quitter. Aussi passa-t-il doucement une main
dans la chevelure un peu emmêlée de sa tendre amie, lui donnant un
baiser pur de ses lèvres avant d'avoir prononcé un seul mot. La
complicité des deux fiancés des eaux claires était belle à voir,
reflet tardif de l'éclat primitif des premiers jours des hommes, ou
d'un Paradis perdu accessible aux seuls élus.
Le moment de tendresse
s'éternisa quelque peu, alors que le soleil s'élevait doucement
dans le ciel pour les réchauffer, ainsi que pour mettre en valeur la
beauté du cadre dont bénéficiait leur amour ressourcé et
renouvelé. Une réalité aux accents paradisiaques s'immisçait dans
leur rêve commun, riche d'une végétation et d'une forêt animées
par un vent doux, tandis que leurs regards jouissaient des mille
reflets de l'astre du jour qui jouaient inlassablement au gré de son
va-et-vient sur l'eau. Le sable, au fur et à mesure qu'il séchait
tout autour d'eux, prenait une teinte qui mettait en valeur leur
douce étreinte. Mais avec la réalité qui se réveillait ainsi,
d'autres besoins le firent de même, ainsi la faim, après cette
soirée et cette nuit aussi éprouvantes que passionnées. Les deux
amants, s'amusant de se voir ainsi rattrapés par leurs appétit, eux
qui n'avaient vécu que d'une vocation à l’Éternel depuis la
veille, se levèrent comme à regret de devoir s'éloigner l'un de
l'autre ne fût-ce que d'un pouce, et se vêtirent légèrement. Ils
comptaient bien prolonger l'instant divin de cette nuit, sans se
revêtir des parures du monde, qu'ils savaient, sans avoir besoin de
se le dire, n'avoir pas envie de rejoindre déjà.
Calypso, prenant
l'initiative d'un air à la fois tendre et mutin, prit Roland par la
main et entreprit de lui enseigner comment profiter de
l'environnement naturel pour s'offrir un festin digne de son Royaume
retrouvé comme de son Prince, l'entraînant aussi bien sur la plage
que parmi la végétation. Elle lui raconta des épisodes de son
enfance, puis surtout de sa vie de mousse, lorsqu'elle avait dû
apprendre comment se débrouiller au mieux avec ce qu'elle avait sous
la main. Roland, même s'il avait passé son enfance, avant de
devenir page au temple de Tyr de Suzail, dans un domaine campagnard,
en contact régulier et courtois avec les paysans, semblait
découvrir, tout au plaisir d'être guidé par sa compagne, toutes
ces manières de pêche, de cueillette, et même de chasse car il
fallut bien se mettre sous la dent quelque chose de consistant. Une
fois l'ouvrage du Capitaine et de son jeune apprenti improvisé
terminé, ils purent fabriquer un feu de camp rudimentaire, le temps
s'étant fort heureusement calmé et illuminé, et faire cuire les
produits généreux de la mer dont ils avaient pu s'emparer, ainsi
qu'un peu de viande. Ils devisèrent gaiement tout en mangeant,
nimbés d'une aura de bonheur qu'aucun nuage ne semblait pouvoir
assombrir. Calypso, naturelle et gracieuse à la fois, les cheveux
aux longues boucles brunes disposées au bon plaisir de leur élan,
avait un regard brillant de vitalité, aussi simplement jolie qu'une
Sirène, et Roland, le torse nu et comme débarrassé de sa carapace
inhibitrice, avait le rire plus aisé et le regard encore plus
pétillant que d'ordinaire, ses cheveux illuminés par le soleil
flottant sur ses épaules tels une crinière, qui lui donnait
véritablement l'air d'un Prince. Rien ne semblait pouvoir faire
redescendre ces deux êtres de leur moment d'éternité.
Hors du temps et des
contraintes que leur imposaient les événements et leurs
responsabilités, s'étant offert ce qui pouvait ne jamais se
présenter à nouveau, Roland et Calypso ne terminèrent leur repas
de fortune qu'après que l'astre du jour n'eût un peu dépassé midi
au-dessus de leur tête. Cirbann, Thola, Baine, le Concile, les
Fiancés, rien de tout cela n'avait été évoqué pendant tout ce
temps, comme si l'un et l'autre savaient qu'en faisant cela, ils
eussent pu briser leur rêve, aussi fragile que pouvait l'être une
bulle. C'était leur journée après tout, celle de leurs fiançailles
maritimes et divines, et rien ne méritait de venir interrompre et
ternir un pareil moment de félicité. Aussi en profitèrent-ils au
maximum, livrés à l'insouciance de leur amour comme s'ils étaient
des adolescents innocents, jouant à se courir après, se rattrapant
dans des enlacements d'une tendresse infinie, chacun de leurs jeux se
terminant par la récompense d'un baiser tendre et passionné. Comme
jadis au lac béni de Tyr, là où avait éclos dans leur cœur la
reconnaissance de l'étincelle divine qui les réunissait
inéluctablement, Calypso, plus espiègle que jamais, toute livrée à
la joie de partager son Royaume conquis, invita son fiancé à venir
dompter dans les eaux, limpides comme leur amour, la Sirène qu'elle
jouait, ondulant et plongeant savamment, attisant la convoitise d'un
Prince qui faisait du mieux qu'il pouvait pour satisfaire aux
exigences de sa dulcinée. Loin de se montrer crispé comme la
première fois, il progressait au contact de son aimée, passant des
heures merveilleuses, le regard limpide et tout simplement comblé.
Ce n'est qu'avec le
déclin du soleil, et la fatigue qui avait gagné leurs membres,
qu'ils sentirent que l'éclat magique de cette journée qui n'avait
été qu'à eux, commençait à leur échapper, enlacés tendrement
comme ils se trouvaient sur la plage, à évoquer d'une voix douce et
complice les souvenirs de la naissance de leur amour. Roland se
sentait animé par une fierté immense, et s'aventura à parler du
mariage futur en Amn, ce qui fit passer une ombre légère sur le
visage de Calypso, car elle voyait bien qu'il allait falloir rentrer,
et retrouver des habitudes que tous deux avaient presque oubliées,
comme le simple fait de penser au futur. Pire que tout cela, ils
seraient obligés de se séparer encore et faire semblant à nouveau.
Ils s'embrassèrent passionnément pendant de longues minutes, comme
pour faire durer encore ce qui était en train de leur glisser des
doigts sans qu'ils pussent y faire quoi que ce fût, puis, quand
leurs lèvres se furent détachées enfin en un renoncement
déchirant, ils se résolurent à repasser leurs vêtements, l'air un
peu navré, sans plus rien dire, sentant bien que c'était le poids
de la société qui allait leur peser à nouveau. Se tenant par la
main, le regard complice et un peu triste, ils firent avec un air
quelque peu mélancolique et réticent le chemin de retour jusqu'à
Pierre Levée.
Le soleil s'était certes
couché sur cette journée éternelle, mais Roland comme Calypso, les
fiancés des Eaux Claires, sentaient dans leur âme comme dans leur
cœur, que le souvenir de son éclat ne ternirait jamais en eux ; ils
s'étaient offerts un moment d’Éternité, que seules les âmes
élues et bien nées peuvent goûter en ce bas monde.
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