A l'étage de la sainte
Chapelle du Concile Blanc, dans la chambre douce et confortable
réservée à l'élite des paladins de la Triade de Thola, un jeune
Faucon Pèlerin ne parvenait pas à trouver le sommeil, allongé sur
le dos qu'il était tout en paraissant rechercher une image lointaine
et chérie, ou bien encore revivre pour la centième fois un souvenir
qui lui brûlait le cœur et les sens, sans lui faire de mal mais,
bien au contraire, en le plongeant dans une extase infinie de
luminescence. La pâle clarté de la lune pourfendait de son
évanescence purificatrice le rideau d'une fenêtre laissée ouverte,
pour aller caresser le visage de l'homme, aux traits adoucis par un
amour transcendant, mais au regard brillant d'une étincelle neuve et
perçante, comme si un feu mystique avait jailli dans l'océan de ses
lacs de saphir, comme si son cœur s'était éveillé à la
conscience d'un sentiment qui ne pourrait jamais plus l'abandonner.
« Sais-tu seulement
ce que signifie « se laisser vivre » ? L'amour
transcende, transforme, mais il ne fait pas de toi quelqu'un de moins
bon, ou de plus vulnérable. »
L'homme, dont le torse nu
émergeait des couvertures dans lesquelles il était blotti, passa
une main dans ses cheveux châtain clair, élégamment peignés mais
détachés comme pour accompagner la liberté de ses pensées et de
ses rêves intimes, là où quelque part l'homme prenait peut-être
plus de place que le paladin. Il goûtait les paroles qui résonnaient
en lui comme en un écho formidable, l'enjoignant d'abandonner les
derniers doutes, les ultimes ténèbres qui l'avaient pu se faire
sentir coupable d'aimer, de se livrer corps et âme à ce doux
sentiment que ses coreligionnaires et d'autres n'auraient peut-être
pas pu comprendre. Mais pour le jeune Faucon Pèlerin, se laisser
vivre, c'était se laisser aller en effet, mais surtout se laisser
porter par la vérité de son être et par l'évidence de la relation
formidable qui était en train de se fortifier entre lui et la dame
de ses pensées. L'enseignement du Juste n'impliquait pas de se
mentir à soi-même, aussi se trouvait-il en paix avec lui-même.
« Arrête de lutter
contre lui... Arrêtons de lutter... »
Un soupir brûlant et
passionné émergea lentement, difficilement maîtrisé, de la
poitrine de l'homme dont les lèvres remuèrent délicatement, tout
comme ses yeux se fermaient alors que ses traits semblèrent
témoigner de l'envie d'un contact qu'il eût chéri plus que tout à
cet instant précis. Il releva lentement ses bras qu'il croisa contre
sa poitrine de manière sensuelle, frissonnant doucement comme s'il
eût pu étreindre le fantôme de son désir. Un vague murmure quitta
le nid de ses lèvres tendues vers un doux souvenir, l'incantation
magique et divine d'un nom, qui vit les saphirs doucement mis en
valeur par la lumière lunaire se rouvrir, dans l'espoir que
l'invocation eût pu fonctionner.
« Je t'aime Roland.
Différemment, mais avec autant si ce n'est plus de force. Tu es tout
ce qui me raccroche à ma vie de mortelle. »
Un sourire d'une fierté
insondable se fit jour sur les lèvres de Roland de Jasperal, qui
murmura dans un serment intime que jamais personne n'aura jamais
aimé, n'aimait, ni n'aimerait jamais sa dulcinée comme lui le
faisait déjà et le ferait plus encore. Il ramena ses mains au
niveau de son ventre, desserrant comme à regret l'étreinte
passionnée et onirique qui avait fait bouillonner son cœur et
s'éclairer son âme, et se mit à caresser doucement et
machinalement un bel anneau qui ne l'avait jamais plus quitté du
jour où on le lui avait vu pour la première fois. La confiance
animait ses traits, une confiance belle et sereine, témoin de
l'Espoir sans faille d'un Bonheur sans tache sur lequel il comptait
pour l'avenir. Jamais plus il ne torturerait son amie avec ses
doutes, car ils s'étaient envolés au pays des tourments, ce pays où
il ne la laisserait jamais plus retourner, lui vivant.
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