[Le 4 décembre 2012]
J'étais en train de
m'entretenir avec M. Roland devant la sainte chapelle de l'Oeil,
quand une rumeur nous atteignit, faisant état d'un nain et d'une
corsaire qui auraient été lynchés dans le quartier de Lokdanor ;
nous ne connaissions guère de nains et d'elfes frayant ensemble
sinon Kraelgor de l'Amicale et la corsaire Edaniel, aussi
décidâmes-nous de nous y rendre au cas où leurs vies eussent été
en danger, d'autant que le même nain m'avait brièvement narré une
rixe survenue entre un gnome et la corsaire devant l'auberge de
l’Étoile. A l'entrée du quartier orc, nous découvrîmes un petit
groupe composé par Cenzo, un homme qui s'était battu en duel contre
M. Roland il y a quelques mois, qui portait le gnome du nom de Wann,
celui-là même dont j'avais occis un homme près de notre temple ;
se trouvaient avec eux un certain Hamon, appelé ainsi par Cenzo, le
visage caché par un casque, et un orc qui prétendit être un ancien
soldat, croyant trouver l'armée en Luminis. Ils prétendirent que le
nain et l'elfe n'étaient plus là, probablement ramenés au quartier
central, et que la foule était excitée. La situation commença à
se détériorer du fait que M. Roland était venu avec une capuche
sur la tête ; l'orc le somma de l'ôter, craignant qu'il ne fût
un elfe, et le menaça rapidement de sa lame, ce pourquoi je lui
appliquai la mienne en retours non loin de sa gorge pour le dissuader
d'aller trop loin, expliquant que Roland s'en irait s'il ne voulait
pas se montrer. Toutefois, il préféra dévoiler son visage au vu de
la situation, ce qui ne provoqua aucune réaction hostile. La
discussion s'intéressa ensuite aux notions de territoire orc et
d'honneur, et du fait que je n'étais pas sûr qu'ils disaient la
vérité à propos des deux blessés, je préférais tenter de
comprendre mieux les choses encore un moment. Le dénommé Hamon
raillait la notion d'honneur que je défendais, tandis qu'un semblant
de dialogue commençait à s'établir avec l'orc, mais Cenzo
commençait à perdre contenance jusqu'à se montrer très agressif,
y compris envers le gnome, nous sommant de « dégager ».
Le gnome eut le temps de lancer une dernière diatribe irréligieuse
contre les dieux et l'honneur, avant que Cenzo, après m'avoir
prévenu, ne se jetât sur moi armé de sa hache – je n'avais pas
cru qu'il le ferait vraiment, aussi n'avais-je pas même ma lame au
poing à ce moment-là ; M. Roland vint spontanément combattre
à mes côtés, ce qui me permit de me remettre en lice, tandis que
la sœur Mazarine put me soutenir en seconde ligne, car elle avait
accouru par inquiétude. L'orc s'était joint au combat du côté de
Cenzo, aussi furent-ils défaits tous les deux ; sur ce, des
gardes du Baron survinrent, nous enjoignant de quitter les lieux
d'une manière discourtoise au possible, tandis que Hamon, bien caché
comme il était, déclamait sur mon honneur volatilisé. J'aurais pu
combattre et tomber, toutefois, je sais que cela n'aurait pas
correspondu à la teneur des ordres donnés par ma hiérarchie depuis
mon service à Luminis ; aussi ai-je pris sur moi pour
rebrousser chemin, qu'Oculus maximus me le pardonne. Sur le chemin du
retour, et alors que sœur Mazarine avait été quérir un de mes
frères au cas où la situation eût empiré, nous fûmes croisés
par une escorte du Baron, deux des orques colossaux qui nous avaient
dissuadé de rester, et qui portèrent les blessés de leur camp à
l'hospice ; il ne s'ensuivit pas plus de problèmes
heureusement. Toutefois, il semble qu'ils aient tenté de nous jouer
un dernier mauvais tour en nous envoyant un « docteur »
de toute évidence carnélite, que nous priâmes de s'en aller.
Après les bons soins de
sœur Mazarine et des autres sœurs, voici le peu que je pus tirer
des deux blessés :
Version de Cenzo :
Outre le fait qu'il
persistait à me faire porter la responsabilité du combat, du fait
que je n'avais pas souhaité quitter les lieux (l'entrée du quartier
pourtant), il m'apprit que quand il était arrivé à Lokdanor, le
nain et l'elfe étaient en train d'être évacués, tandis que le
gnome était à terre. Il comptait l'amener lui et l'orc (qui avait
déjà été blessé apparemment, et faisait donc montre d'une belle
résistance pour avoir pu se battre deux fois) à l'hospice quand ils
étaient tombés sur moi et les autres. Je ne pus pas connaître la
raison de la rixe, alors que cet homme n'avait rien vu et avait
simplement perdu son sang-froid. Je l'engageai à éviter de trop
croiser notre route à l'avenir, et le laissai partir – sans
prison, de fait, et du fait qu'il n'était peut-être pas précisément
un employé du gnome.
Version de l'orc :
Cet orc ne voyait que
folie dans tout ce qui s'était passé, prétendant que je ne savais
pas pourquoi je m'étais rendu là-bas ; il ajouta que les
choses étaient aussi simples que ceci pour lui : un nain et un
elfe ne pouvaient pas entrer dans son quartier, et ensemble, cela
dépassait l'imagination. A la différence de Cenzo, il avait vu
toute la scène ; d'après lui, le nain et l'elfe étaient
arrivés devant l'auberge de la Griffe et ne se seraient pas gênés
pour se moquer du gnome Wann, tandis que le nain le provoqua lui-même
quand il arriva aux côtés du gnome. L'orc m'avoua qu'il avait reçu
300 pièces d'or du gnome, et qu'il s'était ainsi acheté la
cuirasse qu'il portait, de même qu'on lui avait promis plus d'or
pour plus tard. Le nain Kraelgor refusa de quitter les lieux, et du
fait qu'il se voyait perdu, le gnome héla la foule qui commençait à
s’agglutiner en promettant 300 ou 500 pièces d'or à qui lui
donnerait la tête de l'un de ses deux ennemis. Alors les orcs ne se
privèrent pas d'attaquer, l'homme de main du gnome (le dénommé
Hamon de ci-dessus, à ce que j'ai compris) achevant de les mettre
hors de combat après la bataille. L'orc décrivit comme une chose
normale la manière dont il se fit ensuite lyncher au même titre que
le nain et l'elfe, s'étant notamment fait marcher dessus.
[Le 5 décembre 2012]
Version d'Edaniel :
Je pus également
entendre la version de la corsaire Edaniel, alors qu'elle sortait
prendre l'air pendant son séjour à l'hospice. Elle m'éclaira
singulièrement sur la raison de sa venue en compagnie de Kraelgor de
l'Amicale à Lokdanor : ils avaient décidé d'aller se battre,
pour le plaisir. La sœur Mazarine et moi tentâmes de lui faire
comprendre que cela n'avait pas été raisonnable, et surtout que
cela avait mis plusieurs personnes en danger. Cependant, si la
corsaire nous remercia d'avoir voulu nous porter à leur secours,
elle rappela simplement que c'était là le tempérament naturel des
corsaires ; il n'y avait guère à redire sur ce chapitre. Elle
fut un peu plus précise sur les circonstances du combat, nous
expliquant qu'elle et Kraelgor durent faire face à trois orcs
chacun, l'un d'eux étant un combattant d'élite. Si elle se défit
de ses adversaires, le nain fut vaincu par l'orc d'élite après
avoir terrassé les deux autres, et elle dut se porter à son
secours ; ce après quoi elle fut submergée par d'autres
adversaires. Elle put surtout mentionner un fait très intéressant :
le gnome Wann aurait fait usage de magie, sans doute se voyant au
pied du mur. Il est également à noter que c'était lui qui avait
tenté d'agresser la corsaire Edaniel devant l'Etoile, tentant de lui
placer son pistolet dans le dos : mais le coup n'était pas
parti, aussi put-elle le rouer de coup. Mais elle me précisa bien
que l'expédition malheureuse de Lokdanor n'avait pas été une
vengeance, mais une volonté délibérée de combattre pour le
plaisir.
Voilà tout ce que je
puis dire de cette affaire, tout en témoignant de mon inquiétude
sincère pour les quelques fidèles qu'il peut nous rester parmi les
orcs de Lokdanor. J'ai peur que sans élan missionnaire de notre
église et la désignation de responsables locaux, ceux-ci ne
disparaissent complètement, si ce n'est pas déjà le cas.
Au nom de Celui qui voit
tout,
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